Seul. Son regard noisette balayait la grande salle, où tous les élèves allaient accueillir leurs parents en hurlant ou en traînant les pieds. Certains étaient ravis de les revoir, et babillaient déjà avec eux : les plus jeunes surtout; tandis que d'autres plus âgés y allaient à reculons, peu ravis devoir leur géniteurs pointer leur nez à l'école. Sans doute devrait-il être avec eux, à ouvrir grand les bras à sa famille... Mais lui n'avait personne à accueillir. Seul. Il le savait, il l'avait prévu. En arrivant dans la salle du repas ce matin, comme à peu près chaque fois depuis le début de la semaine, il s'était assis au bout de la Table du Hurlevent; laissant un sourire factice se dessiner sur son visage lorsque quelqu'un lui adressait la parole. Et alors que la plupart des élèves se levaient, allant à la rencontre des invités, lui restait à table. Seul.
Un maigre soupir franchit les lèvres du Hurlevent, et il enfouit un instant son visage dans ses bras, savourant l'idée de disparaître aux yeux des autres. A quoi s'était-il attendu exactement ? Son père était mort; sa mère était dans un tel état que jamais elle ne viendrait... Il n'était même pas sûr qu'elle aie ouvert la lettre que l'école avait envoyé. Avait-il vraiment naïvement espéré qu'un oncle ou une tante imaginaire viendrait annoncer son existence, juste comme ça ? Il fallait croire que oui... Il se faisait pitié. Un léger coup d'oeil par dessus son bras lui apprit que la salle commençait à se vider, et avec l'assurance de ceux qui ont l'habitude de répéter une action, il se mêla à la fouille grouillante pour quitter les lieux rapidement, se mouvant au milieu du flot d'élèves et d'adultes. Il se sépara d'eux avec autant d'habileté et se retrouva bientôt seul au milieu des couloirs; allant et venant sans but dans le château. Les cours avaient été diminués pour permettre aux élèves de passer du temps en compagnie de leurs parents, et lui se retrouvait sans plus rien à faire. Alors quoi ? Peut-être pourrait-il rendre visite aux membres du Boulevard... Si toutefois ils n'avaient pas également des gens à accueillir.
Sören fut arraché à ses pensées par le son d'une porte vivement claqué d'où sortirent une petite rousse accompagnée de son père apparemment mécontent, un grand barbu qui lui disait vaguement quelque chose. Un coup d'oeil à la salle qu'ils venaient de quitter lui apprit qu'ils sortaient vraisemblablement d'un entretien avec des professeurs. Le Hurlevent ramena bien vite son regard ambré vers l'étrange duo qui se disputait toujours, intrigué par cette impression de déjà-vu, de nostalgie que lui évoquait ce parent inconnu. Dans son trop grand intérêt, il tendit distraitement l'oreille et surprit quelques bribes de conversation; lui indiquant que la petite rousse était de toute évidence quelqu'un de très timide, ce qui ne paraissait pas plaire à l'adulte qui lui demandait de "prendre sur elle" ou d'aller voir un psy. Sören ramena un regard légèrement dubitatif sur l'enfant, tout en prenant garde à ne pas se faire remarquer. Comment était-il lui, à son âge ? Babillant, passioné par les contrées étrangères et élève appliqué dans les matières qui l'intéressaient. Mais il n'avait jamais eu de père pour s'encquérir de ses résultats. Tout juste une mère plus inquiète à chaque fois qu'il revenait de l'école; désemparée en le voyant grandir et évoluer, et qui avait fini par ne plus savoir comment réagir autrement que par la violence. Un sourire amer tordit son visage, et il perdit toute la compassion que cette discussion aurait dû lui procurer. Elle avait un père au moins elle.
Le brun lâcha un faible sourire à cette pensée, laissant son visage redevenir paisible et se défaire de ce rictus déformé qu'il arborait. Tout cela ne le regardait nullement, et ce n'était guère son genre de jalouser les autres. Sans doute tout cet engouement environnant l'avait-il fatigué et aigri. Il valait mieux qu'il aille se reposer séance tenante jusqu'à son prochain cours de la journée, avant de se mettre à maudire toute son existence. Il s'apprêtait donc à faire volte-face et quitter les lieux lorsque la conversation face à lui s'éteignit soudain. Sören ramena un regard perplexe vers le père et sa fille, qui le fixaient soudain étrangement; l'un avec un intérêt impassible et l'autre avec un mélange d'inquiétude et de gêne, le visage soudain très pâle. Le Hurlevent fronça les sourcils, fixant les deux qui lui faisaient face avec circonspection, soudain mal à l'aise. C'était quoi le problème ? Qu'est-ce qu'ils lui voulaient ? Il observa la fillette lâcher la main de son père en lui jetant un regard presque horrifié, avant de se mettre à fixer ses chaussures; puis ce dernier le fixer encore quelques secondes avant de se mettre à parler :
« Bonjour Sören.… Cela faisait longtemps pas vrai mon fils ? »
Il sembla à l'adolescent que son cerveau analysa le sens de ses mots, de ses paroles, sans vraiment les lui transmettre; tandis que il observait le bonhomme, ahuri. La première réaction qui lui vint fut de se demander d'où il connaissait son nom. La seconde, de se figer tout bonnement, et de se sentir devenir mortellement pâle, alors que son regard ambré cillait. Sôren crut voir sa vue se troubler, et les deux silhouettes face à lui devenir floues et danser dangeureusement. Il battit follement des paupières, tentant de chasser l'humidité qui les osbtruait. Il ne pleurait pas. Pas encore du moins. Mais le brun ne parvenait pas à savoir quel sentiment obstruait sa gorge alors qu'il observait cet homme, cet inconnu; sans véritablement parvenir à saisir la portée de ses propos. L'adolescent n'avais pas bougé, pas lâché un soupir, ni même un cri. Il se contentait de fixer celui qui lui faisait face avec un ébahissement qui le rendait presque amorphe. Doucement finalement, l'information monta à son cerveau, et son estomac se tordit, alors que sa vue devenait plus claire pour se fixer sur le barbu. Il s'humecta les lèvres rapidement, dépassé, et jeta un regard à l'enfant rousse qui ne l'avait pas regardé dans les yeux depuis que son père avait parlé. Non, ce n'était pas possible. Son père était mort, et puis il n'avait jamais eu de petite soeur. Cette... gamine en face de lui ne lui ressemblait en rien, et il ne savait pas qui elle était ! Il n'avait aucune p*tain d'idée de qui ils étaient tous les deux ! Un flot de sentiments contradictoires monta en lui, entre le déni, la colère, la tristesse et l'incompréhension. Les mots se bousculaient dans son esprit, alors qu'il refusait encore l'idée qu'on venait de lui balancer à la figure, comme on aurait parlé du beau temps. Sören avait mille chose à dire, mille choses à hurler; et pourtant une seule réussit à sortir. Un seul mot, qu'il lâcha du bout des lèvres, sur un ton nettement plus rauque et haché qu'il ne l'avais imaginé, la gorge sèche.
- Papa ?
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